L’existence de Bibow Bradley commence plutôt médiocrement dans un bled paumé de l’Illinois, fin des années 40, au sein d’une famille de ploucs éternellement vissée au bar familial. Son père a perdu une jambe en Corée, son grand père un œil en Normandie : la fierté familiale tient parfois à peu de chose. Alors à 18 ans, quand Bradley reçoit sa convocation pour le Vietnam, c’est l’émotion. « Tu peux être content, celle là c’est ta guerre, fiston ». Mais Bibow a une particularité, il ne ressent pas la peur. Ce don, la CIA va vite s’en apercevoir et le mettre à profit. Devenu un redoutable agent, un peu malgré lui, il sera envoyé ici et là pour infiltrer et déjouer tout ce qui peut faire peur aux autoritésaméricaines. Et elles sont nombreuses ces peurs : la menace communiste des étudiants russes qui essaiment leurs idées dans les universités, celle du mouvement contestataire des communautés hippies… Et Woodstock ? Ce rassemblement terrifiant…

Servi par une voix off impeccable, cet album, dense (un bon 112 pages) est drôle et touchant. C’est un parfait mélange des genres, dans l’Amérique post-Vietnam du Flower Power, entre espionnage, roman d’éducation et satire politique. Il marie les sournoises ressources du renseignement américain à l’histoire d’un type qui n’aurait jamais dû quitter le bar familial. Car Bibow repart à chaque fois, comme Forrest Gump le faisait. Et on repense souvent à ce film. Un homme qui obéit car il n’a nul part d’autre où aller, ni rien d’autre à faire, mais qui de son regard étonné dévoile l’absurde déroulement des événements. La vie ici c’est pas vraiment une boite de chocolat, c’est plutôt d’écouter son voisin de bar. Qui aura évidemment changé le monde, comme il vous le disait dès le début.