Réalisé par Anaïs Tellenne.
L'artiste, l'œuvre et le sujet. Tout est une question de regard. Mais que reste-t-il du regard de l'artiste qui s'est posé sur le sujet ? Qu'est-ce qui se cache derrière une œuvre d'art ? Telles sont les questions posées par Anaïs Tellenne, pour son premier long métrage en tant que réalisatrice. L'homme d'argile raconte l'histoire de Raphaël (Raphaël Thiéry), un borgne à la stature imposante qui travaille comme gardien d'une imposante villa inhabitée. Proche de la soixantaine, il vit avec sa mère dans une petite maison près de la villa. Ses journées s'écoulent tranquillement entre la chasse aux taupes, la pratique de la cornemuse et les escapades occasionnelles avec la factrice. Au cours d'une nuit d'orage, la charmante Garance (Emmanuelle Devos), héritière du domaine et artiste conceptuelle parisienne, débarque à l'improviste.
Ces dernières années, nous avons fait connaissance avec Raphaël Thiéry dans L'Envol de Pietro Marcello et plus récemment dans Pauvres créatures de Yorgos Lanthimos ! Un visage marqué par ses imperfections qui peut transmettre tant de choses : mélancolie, dureté, tendresse. Le réalisateur profite des dons naturels du protagoniste pour nous entraîner dans son imaginaire, d'abord humble et simple, puis plus complexe et étoffé. Raphaël n'a jamais connu l'amour, peut-être même ne s'est-il jamais posé la question. L'arrivée de Garance brise l'équilibre qu'il avait créé, lui permettant de regarder le monde et de l'observer avec un regard nouveau, même s'il est incomplet. Garance est capable de voir au-delà de la surface, il entrevoit la sensibilité cachée dans cet œil humide et dans ce corps de granit, ou plutôt d'argile. Si tous les habitants du village y voient un golem, elle y voit un "paysage", même si, en toute honnêteté, sa mère ne le verrait pas sur une carte postale. L'artiste ressent le besoin de projeter ces sentiments sur une statue d'argile qui devient rapidement un objet fétiche/transactionnel et une représentation physique de leur lien. La relation entre la muse et l'artiste peut être très puissante, surtout si, comme dans ce cas, le regard est projeté de haut en bas de manière totalement inégalitaire. Malgré la profonde sensibilité artistique de Garance, il s'agit de deux individus issus de milieux socioculturels complètement différents. Une distance difficile à combler. La question que se pose la cinéaste est la même que celle que l'on peut se poser lorsqu'on parle de cinéma documentaire ou de cinéma du réel. Quel est l'effet du regard de l'auteur sur le sujet filmé ? Que reste-t-il de cette dynamique de pouvoir univoque sujet/objet ? Le réalisateur gère impeccablement les étapes de la chute amoureuse de Raphaël en alternant plans moyens et gros plans sur son corps en mutation. L'homme d'argile est saisissant et émouvant dans les moments où le protagoniste se met vraiment à nu et s'ouvre en utilisant la musique comme moyen d'expression. Il est rare de voir le parcours d'un personnage aussi complexe raconté de manière aussi touchante, sans avoir recours à des stratagèmes narratifs absurdes ou à des rebondissements improbables. C'est un petit film très significatif, une découverte agréable et inattendue.
VERDICT
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Une première œuvre qui réfléchit clairement à l'influence du regard de l'artiste sur son sujet. La prestation de Raphaël Thiéry était poignante. Une agréable découverte.