Sur les traces d’Honoré Daumier, une palette de visages burinés, caricaturés, délicieusement exagérés et vissés sur des corps longilignes ou grossièrement adipeux caractérise nos personnages. Ces derniers constituent, en eux-mêmes, une satire acerbe de la société espagnole du XVIIème siècle : prélats replets, barbier satisfait..., aubergiste rustre. Notre filiforme Don Quichotte de la Manche alias Alonso Quichano, visage grave, torturé, ragoutant et bien peu amène, promène sa silhouette dégingandée au gré de ses errances. Don Quichotte est un lecteur compulsif de livres de chevalerie au point d’en arriver à s’identifier à ce chevalier errant sans peur et sans reproche, grand redresseur de tort glorifié dans ses lectures. Juché sur un vieux canasson décati, Rossinante, et accompagné d’un naïf paysan rondouillard, Sancho Panza chevauchant un mulet, notre aéropage part combattre le mal et protéger les opprimés. Le jugement vicié par ses lectures, notre imposteur Don Quichotte, sitôt adoubé de manière croquignolesque, voit dans une auberge un fier château fort, prend des moulins à vent pour de menaçants géants et de quelconques paysannes pour des princesses.  Don Quichotte se doit de libérer les criminels envoyés aux galères du roi. Il est vrai que l’idéal chevaleresque fait d’amour courtois oblige notre hidalgo à dédier ses actes à une gente dame idéalisée qui occupe ses pensés : Dulcinée du Toboso. Le sage décès de notre chevalier putatif met fin à l’ironie de la situation.

L'œuvre de Cervantes a servi de modèle à d'innombrables adaptations. Après le non moins remarquable « L’enfer de Dante », les frères Brizzi poursuivent leur interprétation sublimement illustrée des grands ouvrages de la littérature mondiale. Comme avant eux Gustave Doré, ils semblent tisser des liens culturels entre ces fables sociales. Les personnages semblent avoir enjambes les années et abolis les distances. Les auteurs voulaient, selon leurs propres mots, rendre le récit accessible à un public moderne et ont fait délibérément quelques coïncidences dans le processus et a également laissé de côté des structures narratives qui ne sont plus tout à fait contemporaines. Visuellement, le voyage est conçu de manière impressionnante, souvent dans un grand format opulent, parfois avec de fins traits de crayon, avec une voix narrative qui reflète la vision intérieure de Don Quicjotte, ce qui, selon les Brizzis, donne lieu à une forme hybride de roman graphique.