Le duo Risuleo et Pronostico nous avait habitué : dans leur premier livre Sniff, ils avaient parlé de l'amour et des relations en crise d'une manière ironique, poétique et aliénante. Avec Tango, ils reprennent l'atmosphère de leur premier livre et plongent le lecteur dans une danse où l'on bouge à l'unisson et où l'échange entre l'homme et la femme est élastique et vibrant. Tango est une histoire d'amour, ou plutôt l'histoire d'une relation. Les deux protagonistes, Lele et Miriam, sont un jeune couple aux prises avec une montagne difficile à gravir, dont ils ne verront peut-être jamais le sommet : leur relation. Ils s'aiment, ils se quittent, ils s'ennuient, bref, ils font tout ce qu'un couple normal fait. Qu'est-ce qui fait de Tango un récit original par rapport à des milliers d'autres sur les relations amoureuses ? Certainement la structure. En effet, Risuleo décide d'emprunter la structure typique du livre-jeu : vous souvenez-vous de ces petits livres, le plus souvent fantastiques, qui nous tenaient compagnie pendant notre adolescence et qui, à un certain moment, obligeaient le lecteur à choisir la suite de l'histoire ? Et bien ici, c'est la même chose. Après seulement deux pages, Lele et Miriam sont confrontées à un doute : qu'est-ce que l'agent immobilier entendait par "chiot", parlait-il d'un chien ou d'un enfant ? La première bifurcation s'ouvre et le choix revient au lecteur. À partir de là, l'histoire se poursuit, confrontant continuellement le lecteur à des choix qui détermineront le déroulement de l'histoire.

Tango est un livre raréfié, plein de silences et de gestes quotidiens. Il se déroule avec une alternance d'événements déclencheurs et de pauses, imitant parfaitement le rythme d'une relation, faite de moments de lassitude et de pics de sentiments. Des montagnes russes émotionnelles auxquelles on ne peut échapper. L'histoire à fourche aide beaucoup le lecteur à entrer dans la psychologie des personnages, en le confrontant à ces portes coulissantes qui, dans la vie, ne sont perçues que rétrospectivement. Qui ne voudrait pas pouvoir choisir comment faire avancer son histoire et revenir en arrière si elle ne lui plaît pas ? Risuleo et Pronostico mettent en mouvement la curiosité du lecteur et créent un livre que l'on peut relire plusieurs fois parce qu'il est constamment différent. Une histoire changeante, fluide, qui évolue au gré des pages lues. La mise en scène magistralement orchestrée de Risuleo permet au lecteur de composer son propre film, les ambiances mêmes du livre ressemblent à des plans fixes d'un film intimiste et rappellent un certain cinéma sud-américain ou John Cassavetes. Les auteurs disent s'être librement inspirés du livre Rayuela de Julio Cortázar, un anti-roman publié par l'écrivain argentin dans les années 1960, qui confronte le lecteur à une lecture déconstruite et lysergique, un miroir brisé où l'on saute d'un passage à l'autre en modifiant l'ordre des chapitres. Tango est un volume raffiné dans lequel Pronostico fait un travail fin, délicat, éthéré. Il joue avec des pages colorées et un pinceau noir et blanc raffiné. Les figures humaines flottent légèrement entre les pages, entrent délicatement dans les vignettes et s'enlacent dans un ballet visuel qui plaît à l'œil.Le format et la qualité du papier accentuent la sensation de tenir un livre précieux et unique. La palette restreinte de roses et de céruléens, qui se fondent dans le noir de l'encre, donne un sentiment de suspension et d'intemporalité.