Nintendo se lance dans la salle de classe avec toute son expertise et son ironie pour expliquer aux élèves les coulisses d'un jeu vidéo.
Une question de sentiment.
Si Dreams vend des rêves pour nous donner la possibilité de les traduire en réalité solide, en transformant la phase REM en inspiration et en s'offrant au joueur/rêveur comme le plus convivial des moteurs graphiques, l'œuvre de Nintendo est au contraire exactement ce que dit son titre, un atelier de jeux vidéo, ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 au prix d'inscription de 29,99€, qui est le premier pas d'un parcours vers une nouvelle passion ou aussi, simplement, un moyen de satisfaire sa curiosité, en l'utilisant comme un cours du soir, après le travail, sans aucun engagement. Sept leçons pour créer autant de petits jeux avec nos mains, en les plongeant littéralement dans l'écran tactile pour donner naissance à des platformers, des puzzles à base de capteurs de mouvement, des shoot'em ups, des courses en 3D et ainsi de suite, suivis pas à pas par notre professeur personnel, Bob (un parent très patient et compétent de Navi d'Ocarina of Time) et entrecoupés de tâches pour résoudre des problèmes logiques en utilisant les notions que nous venons d'apprendre, de plus en plus lancés vers la création libre.
C'est le squelette de la meilleure section de didacticiel jamais réalisée pour un jeu vidéo, d'une clarté inégalée sans jamais être trop académique, robotique, didactique, mais plutôt en plaisantant tout le temps, en impliquant, en nous faisant participer non seulement de manière ludique mais surtout émotionnellement. La gamification du développement des jeux vidéo. Et cela grâce aussi aux Nodons, personnages d'une sympathie hors d'échelle qui incarnent les différentes fonctions, conditions et éléments fondamentaux de la programmation capables, en interagissant entre eux (même avec des dialogues absurdes et irrésistibles), de donner vie à des routines, des processus logiques, des automatismes, des éléments de level et game design ; en découvrant que même derrière une chose apparemment basique comme le respawn après un game over, il y a en fait un petit mécanisme informatique parfait. Le corps, le cœur et l'âme de notre jeu.
Une idée exécutée de main de maître et qui donne envie d'apprendre.
Apppeler les assistants est vraiment hilarant, chacun ayant une personnalité qui transperce l'écran. Des dizaines et des dizaines d'assistants à notre service, chacun avec des connotations, des animations, des effets sonores et des voix irrésistibles, ainsi qu'un large éventail de paramètres à choisir afin de gérer leur fonctionnalité au millimètre près. Et une fois de plus, le savoir-faire fou des développeurs (les vrais) pour organiser un laboratoire où l'on peut travailler avec le sourire, en créant ce qui est à toutes fins utiles un nouveau langage de programmation préfabriqué, est mis en évidence. On retrouve les fondations bien ancrées au superbe éditeur de Super Mario Maker, réitérant cette clarté synonyme de succès, l'immédiateté du passage du jeu à la programmation, puis donnant au fond cette touche de jaune " vacances " qui est juste de toute beauté. Toute la zone de travail est gérée par l'écran tactile de manière impeccable, pour choisir, placer, zoomer, dézoomer et connecter les différents Nodon de manière super intuitive et instantanée, activité renforcée par une gestion des menus qui écrirait une thèse et la porterait à la GDC. Exemple vertueux de la façon dont on peut rendre des choses simples extrêmement complexes, en laissant les processus logiques de l'étudiant libres de se développer et de se ramifier sans devoir se démêler entre mille barrières architecturales et linguistiques ; en laissant les mots de l'encyclopédie à l'intérieur du jeu, débordant de notions, prêts à être consultés au moment de faire soi-même.
Et il est étonnant de constater qu'après quelques heures, cela devient presque un jeu d'affinité entre Nodon, une simulation de rencontre par ordinateur où l'on tient compte de leur caractère ainsi que du métier dans lequel ils sont le plus compétents, en déterminant qui s'entend bien et qui ne s'entend pas, ou en essayant d'organiser des blind dates pour corriger un bug ou créer quelque chose de complètement nouveau, en les connectant physiquement ensemble. En ce qui concerne les bugs, le fait de travailler dans le laboratoire permet de comprendre pourquoi on rencontre parfois ces erreurs de programmation et de les voir sous un jour nouveau. Super intéressant. Et le garage de Nintendo regorge de matériel permettant d'expérimenter des concepts de gameplay, des systèmes de contrôle (en profitant de tous ceux que la versatile Switch met à disposition), des perspectives, des deux et trois dimensions, en penchant toujours du côté de la didactique et du "jeu" plutôt que du développement "professionnel" ; une salle de classe hi-tech parfaite pour divulguer et raconter le métabolisme du jeu vidéo, en y entrant. Un environnement convivial et informel, adapté à tous les types de joueurs, tant en termes d'âge que de prédisposition créative, qui fournit ses outils et vous encourage ensuite à partager vos créations, pleines d'expérience et d'amusement, dans le but de créer une communauté, d'étudier les jeux vidéo des autres, de les disséquer et de les parcourir pour découvrir de nouvelles techniques, d'être inspiré pour grandir et peut-être de sortir du chapeau de véritables joyaux de conception. Parce que toute œuvre bien construite (et dans ce cas, la quantité d'effort devra être adéquate au résultat souhaité) répondra toujours aux règles typiques des jeux Nintendo, avec cette douceur et cette précision que nous avons appris à reconnaître au toucher, mais en plus petit.
La gestion de l'aspect social est un peu déroutante.
Et il est incompréhensible que, du moins pour le moment, la recherche de jeux en ligne ne soit pas publique mais filtrée par une recherche par ID, rendant obligatoire la connaissance d'un certain code pour pouvoir "recevoir" le travail des autres sur sa console. On espère qu'à partir du lancement, quelque chose va changer, se rapprochant de la philosophie de Super Mario Maker, car ce serait vraiment comme mettre un morceau de bois entre les rayons du vélo, du point de vue social. Pour le mal (la composante en ligne telle qu'elle est maintenant) et pour le bien, L'Atelier du Jeu Vidéo est dans une position diamétralement opposée à Dreams de Media Molecule, si complémentaire en racontant l'amour du développement et de la programmation, avec Nintendo adoptant une approche plus carrée, définie, compacte, presque comme un jeu de puzzle. Les pièces sont les mêmes, nombreuses mais pas infinies, et ce qui fait la différence sera toujours la façon dont vous décidez de les assembler, comme si vous aviez un bac de briques LEGO et la possibilité, enfin, de leur donner vie.
Un petit morceau aujourd'hui, un demain, devenant un anti-stress méditatif, une étude folle et désespérée, un moment ludique parfait à partager avec vos enfants en créant ensemble un délicieux jeu coopératif, jusqu'à avoir de possibles applications éducatives, car aujourd'hui, avec des titres comme celui-ci et un avenir du médium lancé vers une suprématie de plus en plus écrasante dans le divertissement, il est absurde que le jeu vidéo ne soit pas encore "quotidien" dans le milieu scolaire. Voir sa propre idée transformée en jeu par la logique est quelque chose d'inestimable, qui redonne également une toute nouvelle conscience à notre bloc de temps en main ; l'or 24 carats. A noter que si le jeu est uniquement disponible en version digital en Europe, une édition cartouche est proposée en Amérique du Nord et au Japon, avec les textes en français présents.
VERDICT
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Quel bonheur d'apprendre ainsi, choyé par une production aux qualités exceptionnelles, pour la clarté de son propos et sa capacité à divertir si spontanément ! L'un, sinon "le" meilleur tutoriel jamais réalisé pour un jeu vidéo, qui initie le joueur/étudiant aux merveilles de la programmation de jeux vidéo, à travers sept leçons pour sept genres, allant de la 2D à la 3D, de la plateforme à la course. Mais la merveille, c'est que Nintendo a réussi à créer un langage de programmation qui lui est propre, fait de personnages, de sons, de symboles à placer et à relier sur une feuille interactive, insufflant la vie pas à pas au jeu de l'autre côté. Une approche didactique du sujet qui convient vraiment à tous ceux qui ont un minimum de curiosité pour les coulisses de ce média. Dommage que l'Atelier du Jeu Vidéo soit pris en faute lorsqu'il s'agit du online, avec la possibilité de partager ses œuvres, mais en liant la réception de ces autres à un système d'identification qui n'a que très peu de sens, là où il aurait été merveilleux (mais aussi normal, avouons-le) d'avoir une belle sélection publique et toujours mise à jour façon Super Mario Maker. Cela n'enlève cependant rien à la profondeur d'un titre frais, précieux, qui encourage le joueur à se laisser aller, à se détendre et à expérimenter.