Rescapé d'un camp de la mort , Brodeck revient dans son village natal après des années de calvaire. L'époque n'est absolument pas précisée,  l'absence de modernité matérielle laisse penser que le récit prend place bien avant la Seconde Guerre Mondiale, pas plus que le pays où se déroule l'histoire, même si la présence d'une frontière germanique à proximité de la vallée ne laisse que peu de doute (le dialecte local en témoigne). Seul homme du village à ne pas avoir participé au lynchage d'un étranger (l'Anderer), Brodeck est chargé d'écrire un rapport sur "l'incident", car lui seul a fait quelques études, et dispose par conséquent, de la meilleure plume du village. Brodeck ne pensait qu'à oublier cette tragique journée, et pourtant, le voilà obligé de libérer la mémoire de toute une bourgade, tout en retraçant l'inracontable et les circonstances qui ont amené les hommes à passer à l'acte. Malgré ce qu'on lui impose,  Brodeck a bien du mal à retranscrire froidement les faits. Les horreurs de l'histoire sont clairement nommées et certains passages sont difficilement supportables.

Le Rapport Brodeck est en réalité l'adaptation du roman éponyme de Philippe Claudel. Signé Manu Larcenet (Blast), cet ouvrage offre un somptueux noir et blanc dans un format à l'italienne. Le dessin semi-réaliste est exceptionnel, magnifiant les paysages sauvages, et met aussi en avant la bassesse des hommes. Brodeck se retrouve confronté à des situations qui lui rappellent sa captivité, et le récit alterne entre planches sans aucun dialogue, et un minimalisme épuré de bon aloi. Ce tome se conclut par un personnage pris dans la tourmente d'une enquête qui semble perdue d'avance. Mais quelque part, il cherche par là à sauver ce qui reste de son âme.