Réalisé par Brett Morgen.
Il ne s'agit pas d'un documentaire. Malheur à vous si vous le considérez comme tel, si vous trouvez le mot reproduit dans le titre de la revue ou peut-être ailleurs, ce sera plus par nécessité éditoriale que par conviction profonde. Moonage Daydream est un rejet clair des formes narratives traditionnelles, une mise en accusation ( !) des conventions. C'est une expérience sensorielle, visuelle, auditive, esthétique et artistique qui, dans le collage de matériaux, certains inédits, d'autres non, dans la recherche d'un sens au-delà de la surface paresseuse des choses, exploite l'intériorité (émotionnelle) et l'extériorité (artistique) d'une icône inaccessible. Comme le dit le slogan, David Bowie, toujours imité, jamais égalé ? Plus ou moins, et il est facile de voir pourquoi. Brett Morgen, quant à lui, a un bon feeling pour la musique et les musiciens. C'est à lui que l'on doit, par exemple, en 2015, le succès de Cobain : Montage of Heck. Une exploration puissante de l'intériorité tourmentée de l'un des derniers grands prophètes en colère du rock. Mais c'était, en fait, toujours un documentaire. Cependant, il commençait à prendre quelques libertés avec l'approche canonique du genre, car à côté des têtes parlantes (les témoignages standards) et d'un tempo narratif somme toute linéaire, il s'accompagnait d'interventions plus casse-cou, comme d'intéressantes parenthèses explicatives confiées à l'animation. Il serait peu généreux de réduire l'opération Kurt Cobain à une répétition générale élaborée vers quelque chose de plus allusif, puissant et articulé. Moonage Daydream n'en est pas moins un remarquable pas en avant, un souffle de liberté, une libération des vieilles habitudes et une évasion vers quelque chose de nouveau et d'excitant.
Dans un moment d'auto-analyse sincère, qui intervient à peu près à la moitié du film, on demande à David Bowie de se définir et il ne bronche pas et répond : "Je suis un collectionneur. Une définition qui frappe par sa justesse et son sens de la mesure, d'autant plus que le spectateur à peine plus averti se rend compte que le Bowie qui lui donne naissance est celui du milieu des années 1970, encore loin, mais au moins sur cet aspect, il a déjà les idées claires. La personnalité et l'art de David Bowie résultent d'un processus sans fin de sélection, de remaniement et de synthèse d'influences, de philosophies, de suggestions. Combinés, ils produisent une identité stratifiée, en perpétuel mouvement. Tous les masques, de Ziggy Stardust au Thin White Duke. Chaque inversion sonore clamée, du glam des (presque) débuts au tournant art rock/expérimental de la période berlinoise, puis au triomphe commercial du début des années 1980 avec son cortège de perte de pureté, jusqu'au parcours ardu (mais exaltant) de reconstruction d'une intégrité artistique, témoigne de la tentative de David Bowie de se confronter à sa propre identité, en s'interrogeant et en se remettant en question. Moonage Daydream est l'histoire de l'homme et de l'artiste, de l'harmonie et du conflit à parts égales. Fragmenté par nature et par devoir de cohérence, le film s'adapte au rythme de son héros et devient collectionneur à son tour. Brett Morgen a accumulé une quantité impressionnante de matériel de répertoire. Il y a l'énergie des spectacles en direct, la dévotion fondamentaliste des fans, des aperçus de la vie privée, des extraits d'interviews, des archives de joyaux cinéphiles qui entremêlent des classiques incontestés (Kubrick, Fellini, Lang et bien d'autres) et des pierres angulaires du genre (en particulier la science-fiction) ; entre les deux, également certaines de nos incursions cinématographiques les plus connues, de L'homme qui venait d'ailleurs à Furyo en passant par Les Prédateurs.
Moonage Daydream est le crime parfait pour tous ceux qui aiment l'art et la personnalité extravertie de David Bowie. Une ligne narrative très mince mais néanmoins reconnaissable, constamment contredite par le ping-pong entre passé et présent et la juxtaposition audacieuse des sources. Cela suffit pour reproduire ce mélange particulier d'originalité de l'inspiration et de lucidité du calcul qui a toujours guidé le chemin du protagoniste. Un film sur Bowie tel que Bowie aurait pu le penser et le réaliser, preuve de cohérence d'autant plus surprenante qu'il y a une vision complexe derrière. Brett Morgen raconte l'homme, l'artiste, les séparant parfois, les réunissant très souvent. Il ne cherche pas une véritable juxtaposition entre public et privé parce qu'il sait que l'expression artistique se nourrit des deux, et dans ce cas, être et paraître, réalité et expression sont vraiment une seule et même chose. L'expression est un mot clé. Voici, peut-être, LE mot clé. Comme la plupart des hommes, David Bowie est curieux, a faim de la vie et sait l'attaquer avec la bonne attitude, qui est celle d'un explorateur. Il ne peut s'empêcher de regarder à l'intérieur de lui-même et de raisonner le résultat de ses découvertes. Affronter sa propre identité signifie revoir les termes de sa relation avec le monde, parler et penser à des choses importantes comme l'amour, la mort et la créativité, car il n'y a pas que la musique. Ce qui le distingue de la masse, outre un talent nettement supérieur à la moyenne, c'est une volonté naturelle d'embrasser la vie qui se centrifuge constamment. L'identité de Bowie est la somme de plusieurs masques, de plusieurs styles musicaux, d'une sexualité fluide. Un total composé de nombreuses parties, dont aucune n'a plus de valeur que les autres. Parler de voyage et de destination, à ces niveaux, n'a pas beaucoup de sens, suggère Moonage Daydream. C'est la même chose.
La mise en scène que Bowie offre de son corps et de son âme, qu'il s'agisse d'un déguisement ou d'un dispositif musical particulier, est le sens même de son art. Le mystère de l'identité n'est pas enfermé dans une sorte d'arrière-boutique de la psyché, et ceci est vrai pour chaque homme. L'identité est une expression, la façon dont nous choisissons de nous révéler. Mais au-delà de tout, Moonage Daydream ne se laisse pas distraire par son anticonformisme et n'oublie pas de dire ce qu'il faut savoir sur la vie de Bowie. Il y a l'enfance bercée de rêves de gloire, entre des parents froids et son demi-frère Terry qui l'a mis sur la voie de l'art mais l'a " abandonné " en succombant à la schizophrénie, un traumatisme qui l'affectera longtemps. Il y a les années 1970 éclectiques, marquées par une créativité impétueuse mais peu de gratification commerciale, et les années 1980 qui bouleversent les perspectives, il y a le rejet de l'amour (d'abord) et le mariage heureux avec Iman (ensuite). Il y a les albums historiques, les chansons les plus célèbres, il y a Starman, Life on Mars ?, Moonage Daydream (la chanson), il y a "Heroes" et n'oubliez pas les citations. Ce qui manque au film, c'est l'exposition plate, le chapelet de témoignages politiquement corrects, le culte du zéro à héros.
VERDICT
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Moonlight Daydream n'est pas un documentaire habituel. À sa place se trouve la piste peu fréquentée de l'expérience sensorielle, le montage qui donne lieu à une association inédite de sons, de mots et d'images à la valeur poétique évidente. Du pur cinéma, c'est vraiment incroyable que ça ait si bien marché.