Arn est un adolescent insouciant et joueur, en constante découverte d'un monde fantastique et impitoyable. Dans une société dominée par la navigation, il est "un poisson volant" dont le sang contient déjà plus d'eau salée que de sang. Son goût du risque, d'abord comme mousse puis comme capitaine, l'amène sans cesse à tester ses limites, qui, une fois dépassées, lui montrent sa mortalité et la finitude des choses. C'est ainsi qu'il rencontre pour la première fois Ehzalá des Nayl, une créature marine qui lui adresse, ainsi qu'à tous les hommes, un avertissement sans équivoque : ne pénétrez pas dans notre royaume, dans notre monde. Mais cette rencontre ne laisse pas Arn indifférent. Au contraire, elle lui donne de plus en plus envie de découvrir des lieux vierges et des créatures inconnues et devient finalement le moteur de sa quête de l'innommable royaume. Une mystérieuse carte maritime de l'archipel des larmes de jade, faite de bois et de viande de nayl, le rapproche finalement de son rêve. Le rêve d'un nouveau monde. Un monde avec de nouvelles règles, de nouvelles constructions et de nouvelles merveilles.

Les Histoires en Terre insondable font le saut en bande dessinée pour raconter l'existence mouvementée d'Arn, le Navigateur, un humain qui a su poursuivre ses rêves et les transformer en réalité, au-delà des limites et des distances de l'infinie Nayrda, et au-delà des différences entre les créatures qui y vivent. Il s'agit d'une adaptation de l'ouvrage "Historias de la tierra incontable" de Házael González, avec l'auteur lui même au scénario et l'excellent dessinateur Raúlo Cáceres à la barre. A priori, la tâche n'est pas facile, car le texte abondant de González (il s'agit d'une centaine d'années entassées en 72 pages, il faut donc être dense à force) peut en rebuter plus d'un, mais la synergie avec le style détaillé de Cáceres est évidente et nous sommes transportés sans effort dans ce monde d'épopée fantastique où ne manquent pas de fortes doses d'action, d'aventure, de magie, d'érotisme et de décors exotiques qui vous laissent bouche bée. L'auteur utilise la ressource des ellipses, contrôlant à la perfection le rythme de la narration interne, en mettant particulièrement l'accent sur l'importance de chacun des moments du parcours d'Arn. D'une manière générale, on peut dire que le scénario abuse un peu de la voix off, mais cela ne nous empêche pas de nous immerger dans l'univers qu'il nous présente et de profiter d'un récit d'aventure fantastique classique de toute une vie. Quant au dessin de Raúlo Cáceres, il suffit d'ouvrir le volume à l'une de ses pages en noir et blanc parfait pour s'immerger totalement dans l'histoire et son univers. Son trait, plein de détails avec l'utilisation d'ombres et de contours, est idéal pour cet univers, ainsi que ces structures architecturales inquiétantes qui assaillent parfois la vignette. Le dessin de l'album se concentre sur un style baroque, fortement influencé par des artistes tels que Bernie Wrightson ou Enrique Alcatena, tout en atteignant un style propre très reconnaissable ; la composition des pages cherche toujours une résolution formelle originale, avec des perspectives très réussies qui donnent un ensemble visuel très attrayant pour le lecteur. La grande édition de Graph Zeppelin est excellente : couverture rigide et reproduction impeccable des matériaux ; on sent qu'il s'agit d'un volume qui a été choyé jusque dans les moindres détails... et c'est très appréciable. Dans ces pages, nous avons une histoire fermée, mais dans le futur, ce même univers peut continuer à s'étendre sans aucun problème.