Scénario et dessin : Céline Wagner
Dès sa naissance, celui que l’on appelait encore Kunio, sût que ses pas ne le conduiraient pas au monde paysan de ses parents mais vers cette musique qui, dès sa venue au monde, le berça de son rythme régulier et tambourinant. Prêt à rentrer en résistance contre la vie et ses schémas, il perçu la respiration, les sens nécessaires à son corps, loin des linges le resserrant et comprimant ses membres. De ces frustrations enfantines et immobilités infligées, Kunio comprendra très tôt le besoin symbolique et profond de plonger en soi, d’aller à la rencontre du flux familial, ce sang qui le fait grandir, de la mort, de la grâce, de vivre et cela quelque soit les affronts, les guerres, les pulsions interdites et métaphysiques, de taper le sol, de prendre, bondir, rebondir sur ces vibrations ressenties, la pleine grâce du mouvement accompagnant, d’investir son corps et de le rendre libre de toute entrave corporelle et psychique, de devenir Tatsumi Hijikata.
Le Butô est donc une danse japonaise consistant à frapper le sol, à se mettre à nu, exerçant sur son corps et son esprit une controverse impitoyable. Elle fut initiée à la fin des années 1950 par celui qui en est le maitre incontesté et absolu : Tatsumi Hujikata et « Ses amours interdits ». Elle prend appui sur les courants extravertis, expressionnistes, poétiques digne de tortures corporelles et psychologiques. Le Butô est accompagnée d’une théâtralité pouvant rappeler le théâtre classique japonais (Nô). Mais contrairement à ce dernier, il casse les schémas, ose la radicalisation de la danse, l’art expressionniste du corps et de l’esprit au profit de l’art visuel et coutumier du Nô. Céline Wagner a écrit un roman graphique loin de toute ligne de conduite habituelle. Elle nous plonge dans le domaine de l’art chorégraphique comme on décortique le combat de la vie, comme on découvre chaque membre du corps, comme on se met à nu pour découvrir une nouvelle voie, un autre destin que celui tracé, comme une émancipation avant-gardiste, avant l’heure. Elle nous offre une rencontre poétique noire, ténébreuse, impulsive et à la fois très expressive, singulière, chaude. Le graphisme accompagnant les mots, rebondit comme pulser par les vibrations, les intonations, l’histoire de Hijikata. Les couleurs sont chaudes, passionnelles variant des ocres, bruns aux rouges ensorceleurs. Les traits sont à la fois doux et saillants, anguleux et terriblement expressifs. On frôle la folie, on entrevoit la liberté qu’il a fallu à cet homme pour briser les carcans, les coutumes ancestrales et faire du Butô cette danse si particulière, cette désarticulation expressive des corps, la force et l’habilité des membres et visages.
VERDICT
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Un vrai roman graphique puissant, fort où on en ressort bluffé devant tant d’expressions, de recherches sur cet art méconnu, sur cet homme qui a révolutionné la danse, sur ses influences et ses origines et sur ce qu’il a transmis, donné. Un bel hommage qu’il faut oser lire, rencontrer.