Réalisé par Quentin Dupieux.
Une aspirante journaliste, avec une expérience de pharmacienne mais un bon sens de l'apprentissage, physiquement séduisante mais en fait un peu mal habillé, va tenter de persuader le peintre suprême Dali de céder à la demande d'être interviewé, ou plutôt filmé, comme l'artiste l'aurait souhaité. Nous sommes dans les années 1960 et 1970 et le peintre excentrique est au sommet de sa gloire, ce qui l'a rendu égocentrique et gâté. De plus, Dali est un personnage tellement multiforme qu'il semble presque changer de physionomie à chaque fois qu'il est cadré, qu'il se perd dans les rêves infinis d'un prêtre singulier et qu'il se divise, dans son ego, entre des dimensions alternatives.
Daaaaaali !!! Dès le titre s'épanouit un Dali avec six A, c'est-à-dire un Dali augmenté, informe, brisé. Quentin Dupieux fait un film surréaliste sur un surréaliste. Le dispositif construit par l'ancien Monsieur Oizo est simple : une journaliste jouée par Anaïs Demoustier doit interviewer Salvador Dali. Mais le maître refuse le dialogue écrit et, pris dans l'égocentrisme du génie, demande à être filmé comme dans un film par une caméra aussi grosse que possible. Commence alors un ballet de rendez-vous manqués, une recherche et une perte de soi, entre la jeune fille et l'artiste. Comme on le voit, nous sommes à une distance sidérale du biopic : rien à voir avec la vie de Dali dans sa chronologie rationnelle ni avec une véritable réflexion sur sa façon de concevoir l'art. En revanche, il s'agit du réalisateur de Mandibules, avec une mouche géante, et de choses comme Rubber, totalement centré sur un pneu qui prend vie. Il est donc normal que, même aux prises avec Dali, Dupieux veuille évoquer une ambiance, une atmosphère, une manière d'être et même un courant artistique qui, ironiquement, frise la bêtise. Qu'est-ce que l'art et qu'est-ce que la bêtise ? C'est l'une des traces implicites du film, plein d'astuces et de surprises, de rebondissements impossibles et de tournants oniriques. Il suffit de regarder l'ouverture : un piano qui s'avère être une fontaine rappelle un ready-made et nous introduit ainsi dans la maison de Salvador, une chambre des merveilles, un wunderkrammer dans lequel tout peut arriver. Le même peintre est incarné par différents acteurs et change ainsi continuellement de forme, rajeunit ou vieillit, voire change d'interprétation : il en résulte tantôt un Dali plus feutré, tantôt un « Dali qui fait du Dali », c'est-à-dire un condensé des tics et des attitudes excessives bien connus du personnage. Ici, le kaléidoscope de Dupieux maintient un rythme effréné pendant 79 minutes, avec un tourbillon de gimmicks qui ne laisse aucun répit, pour finalement satisfaire l'œil et la tête. Tout commence par l'arrivée de Salvador à l'hôtel pour l'interview, marchant dans un couloir potentiellement interminable (et se désaltérant...), tandis que le journaliste l'attend et doit soudain aller pisser. Et ce n'est que le début. Sans parler de la suite, qui culmine avec le rêve du prêtre, séquence répétée en boucle qui devient un rêve dans un rêve dans un rêve... Dupieux parodie le cinéma dit de rêve, ce qu'on appelle paresseusement le cinéma « lynchien », en s'en moquant gentiment par la répétition à l'infini.
De même, la réitération s'applique au moment de la fin, lorsque le scénario classique de FIN apparaît à l'écran, mais qu'il est interdit de se lever. La principale référence du Français, de son propre aveu, est Luis Buñuel, spécialiste de l'art du rêve. Mais c'est à mon avis un cinéma qui prend Alain Resnais et le fouette dans la farce contemporaine, sachant qu'aujourd'hui il est impossible de se prendre au sérieux. C'est un cinéma qui frôle le regard de Michel Gondry et qui, d'une certaine manière, le dépasse, parce qu'il ne joue pas sur l'accumulation comme son confrère - voir l'hypertrophie surréaliste de Mood Indigo - et qu'il livre du moins « lourd », du court et du rapide, un voyage fou de quatre-vingts minutes qui fait voyager. Certains diront : « Mais vous ne comprenez rien à l'artiste ». C'est tout à fait exact. Ici, on ne s'intéresse pas à Dali en soi mais à l'exercice surréaliste, béatement une fin en soi. Résultat ? Le Dali de Dupieux est infiniment supérieur au portrait terne et sénile du Daliland de Mary Harron sorti l'an dernier. Daaaaaali ! a brisé la surface du Festival de Venise, la médiocrité généralisée, en proposant quelque chose de complètement différent. Le plaisir et le rire au théâtre. Dupieux est le dernier surréaliste. Ou le premier alien d'un cinéma différent, qui aime son public, qui sait s'en moquer et le divertir. Fièrement hors compétition.
VERDICT
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La dernière folie de Dupieux confirme le génie débridé et fou du singulier réalisateur français, désormais bien rodé et habitué à pondre deux œuvres par an. Avec Dupieux, l'absurde règne en maître, les acteurs qui peuplent ses histoires ne semblent pas moins s'amuser que le public, qui commence à le considérer comme incontournable et incontournable jusque dans les festivals les plus connus et les plus célébrés.