Toutes les histoires ont une fin, même les plus étranges. La toile. La scène. Le roman.
Le cercle se referme.
La sortie du premier Layers of Fear, en cette désormais lointaine année 2016, répondait aux besoins d'une communauté intriguée et absorbée par le teaser jouable de P.T., un film d'horreur psychologique, qui n'a jamais vu le jour, produit par Hideo Kojima sous l'égide d'un Konami qui, jamais auparavant comme à l'époque, a tout fait pour devenir invisible aux yeux du grand public. Nonobstant, donc, un astucieux critère d'imitation de l'idée originale, afin d'exploiter le battage dérivé de l'annulation comme un tremplin à coût nul, il faut dire que le tout premier Layers of Fear n'a pas seulement brillé d'une lumière réfléchie, au contraire. La qualité de la narration, combinée à un gameplay aussi simple qu'addictif, a décrété un certain succès projetant Bloober Team dans l'Olympe des éditeurs de logiciels à succès, permettant en même temps à l'éditeur de mettre dans le pipeline non pas une, mais deux suites. Si, dans le premier épisode, nous avons exploré un manoir victorien, en nous faisant passer pour un peintre fou à la recherche des matériaux nécessaires à la création de son tableau "définitif", tout en sondant les profondeurs d'une santé mentale de plus en plus chancelante, dans le deuxième épisode, le récit nous a emmenés à bord d'un paquebot. Ici, nous étions obligés de découvrir les machinations du réalisateur, les secrets et les horreurs cachés derrière ses productions, filmées sur place : dans un océan de citation transmédia des meilleurs films de l'industrie, nous avons découvert la genèse d'un lien obscur entre le premier et le deuxième épisode. C'est ainsi que nous arrivons à l'épisode actuel qui, avec sa narration dense et stratifiée, tissera les fils des événements qui nous permettront de relier tous les fils narratifs laissés en suspens jusqu'à présent, nous lançant en même temps dans une expérience narrative horrifiante et satisfaisante.
Et c'est à ce moment que commencent les exploits finement narrés dans ce troisième chapitre de la franchise made in Bloober Team, imaginairement nommé Layers of Fear, en tant que géniteur de la série. Ce choix, apparemment excentrique, révèle au contraire une intention auto-quotative, ainsi qu'une intention pas si cachée de créer un trés d'union entre le premier et le dernier chapitre, greffant à partir de la nomenclature standard, un sentiment de circularité de la narration. Layers of Fear n'est en effet classé ni comme un remaster ni comme un remake : le slogan "Horror Re-Imagined" explique bien comment cette troisième itération représente une actualisation de toute la série, revue et revisitée grâce aux nouvelles technologies, intégrant des dynamiques de gameplay que l'itération précédente, réalisée en Unity, n'aurait pas permis. Nous nous retrouverons donc dans la peau d'une écrivaine sélectionnée, après avoir envoyé sa propre histoire, pour passer une nuit dans un phare abandonné et y puiser, une fois sur place, l'inspiration pour l'écriture de son nouveau roman. Nous entrerons ensuite en contact avec des entités dans le phare, entités qui nous feront revivre les exploits de l'ancien propriétaire, sondant un passé trop terrifiant pour rester caché dans les plis du temps. Dans un tourbillon d'émotions et de sensations, nous descendrons dans les profondeurs de la psyché de l'écrivain, pour comprendre les raisons qui l'ont conduit à la folie, en découvrant en même temps les sinistres événements dont il est devenu le protagoniste. La descente aux enfers de l'écrivain ne sera pas abordée plus avant dans cette critique : Layers of Fear étant un jeu d'horreur psychologique à la première personne, purement centré sur l'histoire, toute autre anticipation risquerait de gâcher l'expérience de jeu.
L'horreur réimaginée.
Ce Layers of Fear peut être défini, sans crainte d'être contredit, comme la preuve de la maturité de Bloober Team, qui, à l'époque du géniteur de la saga, n'était qu'un studio émergent. Le tout premier Layers of Fear n'était d'ailleurs qu'un jeu à petit budget, réalisé sur Unity, un moteur graphico-physique aussi ductile que limité. Le passage, à l'occasion de cette troisième itération, à l'Unreal Engine 5 représente en soi un marqueur clair et incontestable du changement de statut et d'ambitions du studio polonais, déjà investi par Konami de la responsabilité de faire revivre la franchise Silent Hill. Pour réimaginer l'horreur, à travers un produit qui fait de l'expérience narrative son point central, il faut en effet un compartiment graphique et sonore de pointe. HDR, Ray-tracing et 4K sont en effet les caractéristiques mises en œuvre dans ce dernier chapitre, afin de garantir une immersivité sans précédent et, il faut le dire, la différence visuelle par rapport aux chapitres précédents, pourtant excellents, est immense. L'adoption, en outre, de l'audio binaural, ainsi que le conseil d'expérimenter le jeu à travers un casque dédié, complètent la reproposition, dûment mise à jour, d'un produit qui est maintenant devenu une marque de fabrique des gars de la Bloober Team. L'adoption d'une torche qui nous permettra de pénétrer dans l'obscurité et d'interagir (ou de nous défendre) contre d'éventuels éléments de contact, mieux connus sous le nom de "courts-circuits narratifs", entre les deux plans chronologiques présents, augmente encore le niveau d'implication et d'immersion dans les atmosphères lugubres et claustrophobes de ce troisième chapitre.
Il est clair, cependant, que malgré toutes les améliorations technologiques nécessaires pour garantir une meilleure expérience des émotions véhiculées par le produit final, nous ne parlerions pas d'un produit capable de faire mouche, pour la troisième fois consécutive, si une composante esthétique ne s'accompagnait pas d'une contrepartie narrative du plus haut niveau. Et c'est là que les gars de Bloober, aidés par Anshar Studios, ont fait un court-circuit de jeu vidéo, en donnant de la profondeur et de la multiplicité d'accès à un jeu qui, de par son genre, devrait être caractérisé par la linéarité et la répétitivité. L'ensemble du parcours, qui ne prendra pas plus d'une douzaine d'heures, est en effet caractérisé par une série de choix/non choix, dictés par l'instinct, qui nous permettront d'emprunter l'une ou l'autre voie narrative, nous menant par la main, à chaque fois, à l'une des multiples fins spécialement mises en place. Layers of Fear referme les rangs d'un récit entamé il y a sept ans avec le géniteur homonyme, réussissant le tour de force de présenter les événements vécus dans les deux premiers épisodes de la saga sous un jour différent, me donnant envie de les reprendre en main pour analyser, une fois de plus, ce qui a été raconté grâce aux informations données dans le final. Seule note discordante, les (rares) sections d'essais et d'erreurs sont frustrantes par la trop grande facilité du game over, ajoutant du pathos par la caducité de l'expérience de jeu, mais aussi de l'ennui après (plus de) quelques tentatives infructueuses.
L'horreur nouvelle génération.
Le passage à l'Unreal Engine 5 a marqué l'achèvement d'une étape nécessaire et attendue depuis longtemps, afin d'améliorer l'expérience de jeu. La flexibilité dans l'utilisation du moteur graphico-physique made in Epic se concrétise, dans ce cas, dans la gestion avancée des effets de lumière et du brouillard volumétrique à travers le système d'éclairage global Lumen. Le compartiment "Niagara", quant à lui, garantit la présence d'effets de particules avancés, calculés en temps réel pendant l'expérience de jeu. Ce moteur graphique, il va sans dire, a été conçu pour des configurations PC haut de gamme, mais il ne défigure pas, bien qu'avec des limitations de performances endémiques et attendues, la PS5, la plateforme utilisée pour tester ce Layers of Fear. Plus précisément, le mode performance garantit un framerate granitique (60 fps), tout en diminuant la qualité générale des textures et en désactivant les effets de particules en temps réel. Le mode qualité, spécialement créé pour montrer les muscles de l'Unreal Engine 5, s'essouffle sur PS5 où, malgré la magnificence graphique, on peine à atteindre le seuil des 30 fps. La situation pourrait être améliorée avec un patch mais, au vu de la situation générale, on doute qu'il soit possible de remédier complètement à cette criticité. Le compartiment audio, quant à lui, brille de mille feux, nous offrant une musique d'accompagnement toujours appropriée et une série d'effets sonores dynamiques qui contribuent, que ce soit au casque ou avec un système 5.1, à rendre l'expérience encore plus terrifiante et enveloppante. Il faut mentionner Bloober pour la disponibilité des sous-titres français, un choix qui ne fait pas regretter l'absence de doublage, en raison d'une voix anglaise de premier ordre.
VERDICT
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Layers of Fear représente la grande conclusion de la trilogie conçue il y a des années par Bloober Team. Un travail minutieux d'actualisation livre une expérience d'horreur fonctionnelle et enveloppante qui nous accueillera pendant toute la durée du playthrough. Une certaine incertitude dans le framerate, en mode qualité, ne nuit cependant pas à la convivialité du titre, qui souffre d'une certaine répétitivité dans les sections d'essais et d'erreurs. Recommandé à tous les fans d'aventures narratives.