Peu d'écrivains ont laissé derrière eux une œuvre aussi intemporelle que George Orwell, avec bien sûr "La Ferme des Animaux" et (surtout) "1984" comme titres les plus attrayants. Les soixante-dix années depuis la disparition de l'auteur sont importantes car elles signifient que son œuvre est depuis lors officiellement dans le domaine public et peut donc être utilisée librement par d’autres à des fins de publication et d’édition. Les livres d'Orwell ont déjà été régulièrement édités et publiés, mais la barrière semble désormais enfin franchie en termes de publications de bandes dessinées. Deux belles versions ont déjà été publiées en 2021 – l'une de Jean-Christophe Derrien et Rémi Torregrossa, l'autre de Fido Nesti – avec des interprétations différentes. Il existe désormais le roman graphique du créateur de bande dessinée français Xavier Coste (1989). Il n’y a pas grand chose à révéler sur la célèbre histoire, fréquemment citée et non moins actuelle de nos jours que lors de sa parution en 1949. La description d’un État totalitaire qui contrôle tous les médias et dirige son peuple d’une main de fer se rapproche désormais terriblement de la réalité. 1984 raconte une histoire dystopique de ce à quoi ressemblera l'avenir en 1984 ! L'histoire parle d'un amour impossible, de l'impact des médias, de la politique, du pouvoir, de la violence, etc... bref, c'est toute la société qui est présentée de manière assez radicale. Big Brother est devenu une figure métaphorique du régime totalitaire et policier d’une société de contrôle avec une très grande restriction des libertés. 1984 n'a pas été choisi au hasard, mais est l'inversion du nombre 48 de l'année 1948 dans laquelle Orwell a commencé à écrire le livre.

Il existe de nombreuses façons de mettre cette histoire en scène et Coste n’a certainement pas choisi la voie la plus simple. Dans un beau livre à la reliure épaisse, il prend tout le temps et l'espace pour donner son point de vue sur l'histoire. Il opte pour le même style de narration lent et interminable qu'Orwell utilise dans le livre et parvient donc à transmettre un sentiment similaire de découragement et de menace. Ses dessins sont grandioses et géométriques, mais surtout sobres et sans fioritures. Par exemple, il n’utilise que cinq couleurs qui soulignent clairement le contraste entre les différentes parties du livre. La ville et le monde souterrain sont conçus de manière si désolée que le lecteur devient progressivement de plus en plus inquiet. Coste décrit explicitement les atrocités. C’est un choix qui convient à sa façon de dessiner et qui semble logique. Néanmoins, l'histoire est parfois difficile à suivre, notamment à cause du style abstrait qui rend difficile la distinction des personnages. Revenez donc régulièrement quelques pages en arrière, même si ce n'est certainement pas une punition. La représentation de l'État terroriste par Coste dégage sans aucun doute autant de menace que prévu et ce sont surtout les dessins à grande échelle de la ville et de l'omniprésent Big Brother qui vous coupent régulièrement le souffle.