Scénario et dessin : Didier Tronchet
Lorsqu'il fait un burn-out, Jean, bibliothécaire qui semble être passé à côté de sa vie, décide de retrouver Rémy-Bé, le chanteur de sa jeunesse (lorsqu'il se voyait encore révolutionnaire et contestataire). Fasciné par la désinvolture et la liberté de ton des chansons, Jean voit dans cette recherche improbable l'occasion de renouer avec le personnage qu'il n'a pas osé être. Enregistrés sur une vieille cassette audio, les morceaux l'ont suivi pendant des années, seul vestige du passé. D'ailleurs, personne ne semble se souvenir de ce chanteur, l'aurait-il inventé ? Sa seule piste : la pochette du disque avec le viaduc de Morlaix en arrière-fond. L'indice est maigre, mais Jean pourra dénouer le fil de manière surprenante, avec le seul secours des paroles de la douzaine de chansons, qui sont comme un puzzle mystérieux. Au bout du chemin, il y a le fantôme du chanteur perdu que Jean pense connaître par cœur. Il n'est pourtant pas au bout de ses surprises. C'est un autre qu'il rencontrera, tout en faisant lui-même la découverte de celui qu'il est, à travers celui qu'il aurait pu être. Les îles lointaines ne laissent pas indemnes... Tronchet signe ici une œuvre émouvante et vibrante, qui nous questionne : est-ce bien la vie que nous voulions vivre ? L'enquête fantaisiste mais efficace menée par le héros trace un itinéraire guérisseur que nous suivons avec un plaisir partagé.
Cet album montre la force de la musique, comment elle peut améliorer la vie en la bouleversant dans son train-train. Certaines chansons possèdent en effet ce pouvoir extraordinaire de ne s’adresser qu’à nous, comme si elles nous connaissaient intimement, comme si elles n'avaient été composées que pour nous. Partant de ce constat, Didier Tronchet poursuit son exploration personnelle avec un jeu de (fausses) pistes réjouissant. Le chanteur auquel le titre fait référence n’est pas perdu, seulement oublié de (presque) tous, sauf du chercheur (un avatar du dessinateur) qui s’avère quant à lui réellement perdu. Tant dans sa propre vie que dans cette quête aussi insensée qu’improbable. Entre récit initiatique parsemé de curieuses et (parfois) belles rencontres, Tronchet explore l’importance de la transmission paternelle. L’égotisme réel du récit s’oublie grâce au subtil recul fictionnel qui lui donne de la distance. Remettant au goût du jour (avec humour, dérision et second degré), l’adage populaire selon lequel ce n’est pas la destination qui compte mais le chemin, Didier Tronchet compose un personnage de perdant magnifique à la recherche éperdue de sa chimère. Il parvient même à faire un lien malin avec son précédent opus "Robinson Père Et Fils", apportant un nouvel éclairage voire un sens caché à ce dernier. Vient alors l’inévitable question : faut-il se confronter à ses mythes / idoles ? Devant prochainement expérimenter ce concept lors d’un futur hymen avec un brillant auteur, le lecteur doute à mesure que se rapproche l’échéance. Les réponses apportées ne relèvent pas de la philosophie, plutôt de l’école de la vie. Celle des compromis. Pourtant Tronchet est allé au bout de son rêve, lui, sans réfléchir. Un saut dans l'inconnu.
VERDICT
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Une invitation au voyage, à l’introspection, très réussie. La postface apporte des précisions réjouissantes sur la démarche de l'auteur au point de (presque) édulcorer le récit : la réalité dépassant de loin la fiction.